Pour mes amis et moi, dans les années 1958-1959, le choix des jeux était assez restreint : patinette ou trottinette pour les plus vaillants et les plus courageux, distractions de rue comme la marelle ou le ballon prisonnier, osselets, capsules des bouteilles de sodas ou noyaux d’abricot, pour les autres. Sans oublier le jeu du « chaouch », la course des « cerceaux » et les cerfs-volants. Il fallait être inventif pour s’amuser à la sortie des écoles primaires qui n’étaient pas très éloignées de notre Maison Riccio !
Mais la plus dangereuse de toutes ces distractions était la poursuite des camions qui passaient dans notre rue à en faire trembler les menuiseries et les vitrages des maisons, course pour essayer de saisir les grappes de raisin qui, au chargement, étaient restées en équilibre sur la ridelle arrière des camions, et ceci à l’aide de crochets en fil de fer attachés à des bouts de ficelle ! Nous avions droit à plusieurs essais vu que la noria de camions déballant leur précieux chargement à la cave située tout au bout de la rue Jean-Bart ne cessait pas, et durait pendant le temps des vendanges.
Quand nos maigres prises ne nous satisfaisaient pas, nous nous rendions sur le quai de déchargement pour récupérer et glaner les raisins tombés des camions afin de nous rassasier ! Nous frôlions quelquefois l’accident grave à cause des grappins qui se coinçaient malencontreusement et le plus intelligent pour nous après deux ou trois essais infructueux, était de lâcher prise et de perdre notre attirail !
Cependant, les chauffeurs qui avaient pris conscience de ces rapines faites par les enfants de la rue, restaient vigilants et compréhensifs, et la plupart du temps en freinant doucement, ils nous aidaient ainsi à nous dégager de ce piège dans lequel notre insouciance nous faisait parfois tomber !
Aujourd’hui les trottinettes sont électriques, roulent sur trois roues, se plient pour le transport et elles sont même utilisées par certains adultes avec une âme d’enfant ! Les trottinettes d’antan étaient en métal bien solide, sans frein, ni pédale de propulsion généralement, mais elles nous convenaient et nous nous amusions chacun notre tour, puisqu’il n’était pas question, eu égard au salaire du père, d’en posséder plusieurs dans la famille !
Le plus vaillant de la fratrie était certainement Patrick, car son courage et son impétuosité n’étaient plus à démontrer. Il faut dire que les rues en pente ne manquaient pas autour de notre immeuble et elles restaient très dangereuses à cause des carrefours qui les recoupaient à angle droit et parfois sans visibilité aucune.
Comme à l’accoutumée, Patrick descendait rapidement l’une des rues sur sa trottinette, en poussant fortement sur sa jambe d’appel – la droite peut-être ? – mais un faux mouvement ou une pierre restée là, sur le macadam, voilà l’engin qui dérape, et la chute rapide et lourde sur le sol, la tête en avant – les casques de protection n’existaient pas ! – L’accident s’étant produit à deux pas de notre maison, une voisine bientôt relayée par les autres mamans de l’immeuble s’est mise à hurler pour alerter Antoinette, qui de sa cuisine au 1er étage a dégringolé l’escalier menant vers la sortie principale qui donnait sur la rue.
Gesticulant et criant comme les autres femmes présentes à ce moment-là, elle se précipite angoissée et pleurant vers son Patrick – c’est le dernier de la fratrie ! – pour le prendre dans ses bras, le consoler et constater les plaies et les bosses causées par la chute. Un énorme œil de pigeon près de l’arcade sourcilière, le front peu tuméfié, des égratignures sanguinolentes aux coudes, aux genoux, et devant ce spectacle d’un Patrick devenu méconnaissable, notre mère qui s’écrie : « On dirait Quasimodo ! » Ces mots jaillis spontanément de sa poitrine font le tour des voisins et peut-être même du quartier. Et les rires remplacent les cris d’angoisse des premiers instants !