Le pays perdu
Le soleil aux doigts de sang
Brise l’horizon bleuté du djebel
Les nuages qui filent dans le vent
Saignent dans mon cœur rebelle.
La grande bleue belle et farouche
Se meut mollement au gré du temps
Les oiseaux de mer qu’un bruit effarouche
Gonflent leurs immenses ailes à l’orient.
Le blanc minaret et le clocher pointu
Pointent leur flèche dans le ciel
N’étant pas seuls éperdus
Dans cette terre couleur miel.
La chemise et la djellaba blanches
La chéchia rouge et la casquette foncée
Se saluent dans ce petit bout de France
Dans les chemins et les ruelles encombrés.
Dans la rumeur du jour s’élèvent
L’appel à la prière et le son des cloches
Dans les écoles les élèves
Se touchent et se rapprochent.
La paix et la concorde
Main dans la main
Tissent en accord
Des glorieux lendemains.
Mais les nuages noirs et sales
De la politique s’approchent des côtes
Les tempêtes et ses furieuses rafales
Fêteront la Toussaint et briseront la Pentecôte.
L’ombre noir et les pleurs de la guerre
Comme un grand vol de sauterelles
Feront des ravages sur cette terre
Des années durant résonneront la Mort et sa crécelle !
Les oranges encore vertes gorgées de soleil
Éclatent dans les branches des arbres
Les citrons deviennent vermeils
De peur de honte et les marbres
Des tombes des caveaux des monuments
Se voilent dans la lumière des jours
Récoltant ici et là un peu de firmament
Et cherchant encore l’amour.
De cette terre aimée et chérie
Par tous les habitants qui l’ont fait surgir
À la sueur de leur front béni
Et qui rêvaient de la faire grandir.
Bientôt le bruit des bottes
Le grondement de la mitraille
Les couteaux luisants qui complotent
Ouvrant le chemin des représailles.
Puis le temps de l’exode est venu
Avec lui son cortège de malheurs
L’Histoire balayée tel un fétu
Ne retiendra que les jours de noirceur.
Soixante années plus tard dans mes nuits
Mon cœur saigne encore dans mes rêves
Je revois mes ancêtres espagnols qui fuient
Et débarquant silencieux sur cette grève
De leur nouveau pays
Le nouvel eldorado.
Beaucoup y laisseront leur vie
Dans cette terre au ciel indigo.
Pleure mon cœur pleure
Mais souviens-toi
Non pas du malheur
Mais des jours de joie !